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Histoire sociale d'une entreprise : la compagnie Pechiney (1921-1973)
Auteur(s) : Vindt, Gérard ; Plessis, Alain
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Notice du document
- Titre / Title
- Histoire sociale d'une entreprise : la compagnie Pechiney (1921-1973)
- Auteur(s) / Author(s)
- Vindt Gérard, auteur principal ; Plessis Alain, sous la dir.
- Type de document
- Thèse de doctorat
- Publication
- Université de Paris X-Nanterre, 1999
- Description technique / Physical description
- 666 p. : ill.
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Description
- Résumé / Abstract
Cette histoire sociale s'inscrit dans l'historiographie des entreprises qui n'a pas tenté jusqu'à présent une telle histoire sociale globale. Elle s'inscrit aussi dans l'historiographie du social et ses questionnements actuels sur les rapports entre les individus et des groupes sociaux à redéfinir. Chemin faisant, elle rencontre les pistes ouvertes par la sociologie autour des modes de régulations des relations industrielles. Mais de quelle histoire sociale s'agit-il ? D'une histoire organisée autour de la gestion sociale de la direction de l'entreprise, englobant les réalisations sociales proprement dites, les problèmes de pouvoir et d'organisation, le recrutement, la formation, les carrières, les relations travail-salaire, la sociologie des groupes, les aspects idéologiques et culturels ; cette gestion, dont il faut voir comment elle s'inscrit dans une stratégie globale, suscite des réactions individuelles et collectives qui l'influencent, en fonction des stratégies des différents acteurs. C'est, en dernière analyse, les actions et les interactions des individus et des groupes qui fondent cette histoire. Ces actions et interactions peuvent être lues à travers la notion polysémique d'autonomie, à appliquer à l'entreprise dans son ensemble comme aux individus et aux groupes sociaux : autonomie du social lui-même par rapport à l'économique et au technique ; autonomie au sens de degré de perméabilité aux influences extérieures ; enfin autonomie au sens de marge de manœuvre. Cette histoire sociale se concentre essentiellement sur les usines d'aluminium métropolitaines, pour mieux évaluer le rôle des différents paramètres. Les bornes choisies sont claires, qui correspondent à la fois à des événements externes et internes : c'est en 1921 que naît AFC (Alais, Froges et Camargue) de la fusion de PCAC et SEMF, c'est en 1971 que se constitue PUK et en 1973 qu'a lieu la grève de Noguères qui clôt une période de l'histoire sociale. Par la suite, des facteurs externes et internes radicalement nouveaux s'imposent, justifiant que notre étude n'aille pas au-delà. Cette histoire sociale est parcourue par des permanences, à relativiser et nuancer cependant suivant chaque période. Citons les principales. AFC est une grande entreprise, où domine la branche aluminium, prospère sauf pendant de courtes périodes, maîtrisant ses marchés. On observe d'importantes constantes techniques et d'organisation du travail : usines disséminées au pied des chutes d'eau montagnardes, industrie de processus, à feu continu, peu intensive en main-d'œuvre. La structure hiérarchique est particulièrement rigide et stable avec des ingénieurs qui « tournent », une maîtrise d'atelier formée dans des « stages d'initiation » - au moins depuis 1924 - qui la coupe de son milieu ouvrier d'origine. Les employés administratifs forment un groupe à part, où l'on rencontre, comme dans les services sociaux, un personnel féminin. Les ouvriers forment des deux-tiers aux trois-quarts des effectifs des usines, et sont majoritairement non-qualifiés : par leur origine, leur culture, leur poste et leur qualification dans l'entreprise, leur plus ou moins grande stabilité, ils forment le groupe le plus hétérogène et fondent l'originalité de chaque usine. Mais leur unité tient dans le salariat, opposé au reste du personnel, appointé ou mensuel (la mensualisation ouvrière, reconnaissance officielle d'une égalité du personnel, n'intervient qu'en 1970 en France). Une active politique sociale a toujours existé, mais la « fonction personnel », que ce soit dans les usines ou au niveau du groupe, a aussi toujours été subordonnée aux « impératifs » techniques et économiques. Il est difficile de voir dans toutes ces permanences une « culture d'entreprise », ensemble d'invariants et de représentations partagés par tous les groupes sociaux. En particulier, les cultures ouvrières sont très diverses suivant les lieux et les périodes. Si bien que l'on voit mal cette histoire sociale structurée par une étude des variations de l'adhésion à une telle culture. En revanche, la notion d'autonomie présentée plus haut est une bonne clé. Elle permet de construire une périodisation qui naît à la fois de facteurs externes particulièrement prégnants et de facteurs internes. 1921-1935 est le temps des autonomies, à commencer par celle de la direction de l'entreprise en matière de gestion sociale, la législation étant peu contraignante. La direction, dans la continuité de PCAC et SEMF, s'attache les services des appointés, largement stabilisés et dévoués à l'entreprise. Ils bénéficient d'avantages spécifiques en matière de logement, de gratification annuelle, de caisse de retraite mise en place en 1926. Leurs revenus augmenteront pendant la crise qui ne les touchera guère, si ce n'est en limitant les possibilités de promotions. Les ingénieurs sont jeunes, et la plupart des directeurs des usines électrométallurgiques, contrairement à leurs collègues de la chimie, le sont aussi, ce qui souligne la rotation des cadres et le dynamisme du secteur. Avant 1929, la main-d'œuvre est par contre très instable, souvent immigrée, en particulier à Rioupéroux et L'Argentière. Saint-Jean réussit moins mal à fixer un noyau de « bons ouvriers », tout comme Auzat et Sabart. Ce ne sont pas les conditions de travail très dures, ni les faibles salaires, ni même les diverses primes qui peuvent retenir l'ouvrier. C'est plutôt la politique de logement et le service médico-social, sans équivalents dans les vallées. La crise accélère considérablement la stabilisation d'un noyau ouvrier dans la plupart des usines, alors que les ouvriers immigrés sont massivement congédiés. La reprise de 1933-35 ne verra pas un retour d'immigrés et un retour du turn-over comparables aux années 1920. 1936-1944 est le temps de la lutte des classes et de son antidote : la communauté dirigiste. Les grèves de 1936 marquent une rupture des autonomies. C'est l'irruption de l'ouvrier collectif au fond des vallées : ayant en partie abandonné son autonomie externe en se stabilisant dans l'entreprise, l'ouvrier cherche à retrouver une marge de manœuvre, collectivement, à l'intérieur de l'entreprise. La direction, qui fait preuve d'une grande réactivité, cherche, en appliquant très rapidement les accords Matignon, à domestiquer le mouvement, pacifier les rapports sociaux, tout en éliminant coûte que coûte les militants « lutte de classe ». Il s'agit, avec des ouvriers maintenant relativement stabilisés, de créer une communauté qui s'appuie en particulier sur l'encadrement. Amorcée avant-guerre, cette politique peut s'épanouir sous Vichy : les syndicats éliminés, l'intense collaboration économique avec l'occupant, volontaire et en accord avec l'État français, donne des moyens de la développer grâce aux « comités sociaux » pétainistes dont AFC, à l'image du directeur Torchet de Saint-Jean, est un partisan enthousiaste. Ravitaillement tous azimuts, aide aux prisonniers, embauches, notamment de « STO » grâce au classement « Speer-Betrieb », sont autant de facettes de cette politique. 1945-1973, c'est enfin le temps des autonomies régulées. Si l'idée de communauté survit, c'est sous la forme d'une communauté librement consentie, où les syndicats, et la CGT ouvrière en particulier, doivent trouver leur place. Il s'agit cette fois d'intégrer l'ouvrier collectif et de motiver l'ensemble du personnel. La politique sociale se complexifie, la « fonction personnel », jusqu'alors diffuse, est constituée lors de la réorganisation de 1948 : c'est la Coordination des Relations avec le Personnel qui, primat de la technique oblige, aura à sa tête des ingénieurs aluminium et non des « spécialistes » comme le conseillait le cabinet américain White. La régulation des autonomies a ses instances : réunions de délégués, commissions paritaires, CE, CCE. La pratique en est rendue possible par le consensus productiviste. La prime de productivité, mise en place dès 1947, en est le pivot, qui représente la plupart du temps autour de 20-30% du salaire de base dans les années 1950. De multiples « avantages » maison s'y ajoutent, bientôt consignés dans l'accord d'entreprise de 1956, tel le système de retraites complémentaires ouvrières. La stabilisation et l'intégration du personnel de chaque usine se renforcent, au-delà des espérances de la direction. Mais dès le début des années 1960, le consensus se fissure. La concurrence internationale se développe. Pierre Jouven, vice-président puis président (1968), multiplie les signaux d'un avenir plus incertain, réclamant par avance de nécessaires mobilités professionnelles. C'est se heurter à l'attachement des ouvriers non pas à Pechiney, comme les cadres, mais à leur usine. Simultanément, les syndicats ouvriers, suivis par leurs mandants, même s'ils posent toujours l'essentiel de leurs revendications en termes de revenus, posent aussi des problèmes de pouvoir nouveaux. Jusqu'alors, c'est la politique sociale et le système des relations sociales qui avaient dû s'adapter aux situations, laissant le système des relations hiérarchiques intact. Désormais, c'est ce système même qui est contesté, à travers les heurts sur l'organisation de piquets de sécurité en temps de grève et les revendications portées par la CFDT concernant d'autres relations humaines ouvriers-maîtrise. Les grèves de 1968, celles de Saint-Jean et L'Argentière en 1970-72, qui voient l'arrêt de séries, révèlent toutes ces fissures. La grande grève de Noguères de l'été 1973 n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein, malgré les particularités de l'établissement. Au début des années 1970 Pechiney s'inscrit bien, avec ses spécificités, dans une crise d'un système de régulation né après la guerre. Si bien que cette dernière période 1960-73 aurait très bien pu faire l'objet d'une quatrième partie à part, au regard de la suite des événements et de la crise générale du fordisme.
En lien avec ce travail, voir dans les Cahiers d'histoire de l'aluminium :
- Gérard Vindt, "Tonnes et heures/tonnes. Production, productivité, et gestion de la main d'œuvre dans les usines d'aluminium, 1921-1971", n° 15, 1995, p. 7-21.
- Gérard Vindt, "Effectifs et stratégie d'entreprise : l'évolution de l'emploi chez Pechiney, 1945-1971", n° 22, 1998, p. 27-36.
- Gérard Vindt, "'Les conditions d'existence des collaborateurs de Pechiney en janvier 1943", n° 22, 1998, p. 112-139.
- Ce document a bénéficié du soutien de l'IHA
